Les stances d'un "late adopter"

Publié le 28 Novembre 2007

lonelygirl-copie-1.jpgDepuis longtemps, je me méfie des révolutions annoncées.
Il se trouve une quantité phénoménale d'autoproclamés experts en nouvelles technologies qui clament à longueur de temps l'avènement d'une société 2.0, interactive, partageuse et généreuse. Une société contributive et ouverte qui ne jauge ses membres qu'à l'aune de la qualité de leurs apports, sans distinction de sexe, de race, d'origine sociale ou de titres académiques. Avec une perspicacité digne de piliers du café du commerce, le jargon techno en plus, ils décortiquent le moindre lancement de nouveauté, la moindre annonce, appelant de leurs voeux un toujours plus vite, toujours plus haut, espérant toujours, toujours déçus.

Et j'attends.

Je m'intéresse, par force, à ces changements puisqu'on me dit et me répète qu'ils sont les germes du monde futur. Je vais sur les plateformes 2.0, je me connecte, m'inscris, regarde, lis, visionne, commente. En un mot, je participe au participatif.

Youtube.
L'idée de génie. Une coquille vide qu'on emplit de rebuts vidéos inutiles pour exposer - la plupart du temps- sa propre intimité, ses ridicules, sa prétention à faire du sens avec du de rien. Outre les lancinantes et maladroites démonstrations de Tektonik, les imitations de Britney Spears, les Hip-hop battles filmées au portable, les vidéoclips déjà visibles sur les chaînes satellites et les resucées de Vidéo-gag, on y trouve quelques travaux de neostars, quelques documents intéressants pour les maniaques dans mon genre (Ducatis anciennes, danseurs de claquettes, joueurs de ukulélé, ...oui, je sais, j'ai des goûts bizarres !) et de la pub, de la pub et encore de la pub. Une pub si convaincante qu'il ne me souvient pas avoir cliqué UNE SEULE FOIS sur un bandeau ou un lien publicitaire. En outre, il se dit que cette colossale fréquentation a un prix. Et oui, mes amis, la bande passante, ça coûte du pognon ! Youtube dépenserait donc chaque année plus d'argent en hébergement que ne lui rapporte son modèle économique basé sur la publicité. Sans parler des coûteux frais de maintenance et de surveillance des contenus destinés à lui éviter d'autres frais, judiciaires ceux-là.

MySpace et FaceBook
J'avoue, j'avais quelque espoir en me connectant sur ces deux plateformes de social networking comme on dit au café du commerce d'en face le bureau.

Principe : vous vous enregistrez, vous décrivez (en marketing on dit qualifier), vous vous auto-taguez et vous cherchez des amis en fonction d'affinités électives ou professionnelles. Ca c'est le niveau explicite. Passons maintenant à l'implicite.

Du côté de la plateforme, le but est clair est simple et c'est en gros le modèle dominant en cours depuis la création du web monétisable : vendre un public ciblé à des annonceurs publicitaires. Qualifier des bases coûte cher ? Pas de problème, lancez un réseau social  et c'est l'internaute lui-même qui va se charger du boulot. Il vient lui même s'inscrire, indique son âge, sa profession, sa CSP, ses goûts, ses hobbies, ses dégoûts et ses rêves (en général, devenir une popstar intergalactique avec trois fichiers MP3 enregistrés dans ses chiottes ou Picasso avec deux T-shirts en vente sur La Fraise). Et ce n'est pas tout, non seulement il se qualifie et se segmente lui-même, mais de plus, grâce à son réseau, il opère également par qualification croisée et permet au marchand d'espace de resegmenter son panel : le Nirvana du publicitaire je vous dis !

MyTybe-YourSpace.jpgPassons maintenant à l'utilisateur. J'ai mis longtemps à comprendre le coeur du noeud du noyau du truc. Jusqu'à ce que je rachète en DVD un film des années 80 qui m'avait alors enchanté, Breakfast Club. Une sorte de teen-movie dépressif qui mettait en scène une poignée d'ados consignés un samedi de printemps pour divers motifs tels qu'indiscipline, mauvais résultats scolaires, conduite suicidaire, addiction à l'informatique, encartement à l'UMP. Mais le vrai problème de ces jeunes gens est ailleurs. Le vrai problème, celui qui les hante, c'est leur singularité. Et par conséquence, leur impopularité au sein du groupe. Et là, s'est fait jour un ensemble de valeurs, une qualité ontologique essentielle dans la définition de l'Homo Amercanis tel que nous l'avalons sans même le mâcher : le premier devoir d'un adolescent, c'est d'être populaire. Le premier devoir d'un myspacien ou d'un facebooker, c'est d'avoir un maximum d'amis et de tout mettre en oeuvre dans ce but. Peu importe que ces gens vous connaissent, apprécient un rien de que vous faites ou vous rencontrent jamais dans la vraie vie, le but, c'est qu'ils cliquent sur accepter en recevant votre demande. A chaque fois que je lis ça, je pense au lapin du conte qui va voir tous les animaux de la forêt et leur demande "Veux-tu être mon ami ?" ( En ce qui me concerne, je ne parle pas aux lapins). On sait depuis longtemps que les légendes MySpaciennes de groupes découverts et signés par des majors à la simple écoute de trois fichiers en ligne ne sont que des légendes (les groupes sont en général déjà signés et le plan de com comprend une page MySpace). On découvre aussi l'infinie vacuité du peuple qui hante ce monde idéal, une éternelle jeunesse légère et stupide, à l'hédonisme mononeuronal et aux élans aussi durables qu'une connexion Wifi. La plupart des millions d'utilisateur de ces plateformes sont là pour rien. Ils sont là pour être là. Ils sont là parce que. Les quelques minutes par jour qu'ils passent à consulter et reconsulter leur profil, à requérir des "Addings" sont des minutes prises à l'interminable ennui de leur jeunesse, à l'infinie vacuité de leurs soirées pétards, à l'angoisse de leurs nuits. Facebook n'est qu'une version élitiste du même produit où le schéma se complique un peu. Il n'est pas seulement important d'avoir des amis, il faut également multiplier les groupes, les recommandations, les interventions. Sans doute faut-il concevoir Facebook comme une version préprofessionnelle du réseau social ou on passe du vide sidéral des journées adolescentes à celui d'un Power-Point sur la gestion des flux d'information dans une PME du secteur agro-alimentaire. Bienvenue dans ta vie d'adulte, petit.

Pour en finir avec l'utilisateur, on en lit clairement la niaiserie dans la pétition lancée contre la pub sur Facebook ces dernières semaines. Si j'ai bien compris, le web 2.0 c'est : tu bosses et j'en profite ?

En conclusion, je vois bien le réseau, mais j'ai du mal à trouver le social.


Demain : iPhone et eBook sont dans un bateau...


PS. Y'a quand même des trucs bien sur MySpace : SoCalled

 


...Sur YouTube aussi :



PPS. L'image illustrant l'article a été odieusement copiée sur le blog d'Aquitaine Europe Communication (même pas honte).

Rédigé par Emile Secret

Publié dans #Bits and sense

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E
@ Thibaut : si tu as le temps de rédiger une réponse contradictoire un peu construite, je la publierais volontiers en billet. Le débat est souvent plus constructif que les ruminations solitaires...
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T
Réaffirmer le lien social, être considéré comme un individu au sein d'un groupe, reformer les tribus... Je crois que Facebook est bien plus complexe qu'une simple recherche de popularité.<br /> Pour autant, cette recherche est tout de même assimilable à une recherche des codes sociaux qui régissent la vie en groupe. Et effectivement, à l'adolescence, "on se cherche", d'où une expérimentation dans ce domaine, la validation par les pairs.<br /> Cela mériterait une réponse plus étoffée à cet article, je promet d'essayer !
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